ORIGIN STORY – Appelle-moi Madame

Chaque design, chaque ministrip, chaque illustration que je crée a un sens pour moi, une raison d’être, une histoire. Dans les Origin Stories, je vous embarque dans les pourquoi des comment de mes créations.

Ni monsieur…

Mon plus vieux souvenir de mégenrage date de mes cinq ou six ans peut-être. J’étais à une fête de village, avec une partie de ma famille, dont ma cousine Coralie, d’un an plus âgée. Je me souviens qu’on jouait ensemble et qu’on mangeait des boulets avec de la moutarde. On devait les commander à la pièce. Je me souviens avoir eu encore faim et avoir voulu en commander un deuxième. Je ne sais pas si c’était lié à mon appétit, mais je me souviens qu’une grande personne ait parlé à ma cousine et m’ait appelée son « petit frère ». Sur le moment, je n’en ai pas pensé grand-chose, trop occupée à manger, jouer, courir, vivre.

Je trouve amusant que CE souvenir soit resté en moi. Comme souvent, ce qui nous a construit·e·s est ancré en nous et nos souvenirs sont d’excellentes pistes d’exploration.

Ce premier mégenrage n’était bien sûr pas le dernier. Certes, quand tu es enfant et quand, fort heureusement, tes parents ne jugent pas vital de t’habiller en rose ou en bleu, il peut être plus difficile pour les inconnus de savoir si tu es un garçon ou une fille. Mais cette erreur de jugement s’est répétée tout au long de ma vie.

L’image, la case « femme » généralement plébiscitée, popularisée, vendue, promue voire imposée, ne me convient pas, ne me correspond pas. Et je n’y corresponds pas non plus. Ni physiquement, ni vestimentairement. Du coup, les « monsieur » et autres « jeune homme » à mon intention, en rue ou dans un magasin, j’en ai pris l’habitude. L’hors-norme est devenu ma norme et ça me plaît de bousculer légèrement les formatages de la société, d’être ma version à moi de ce que je suis.

Depuis quelque temps – un an ou deux peut-être – il m’arrive de m’offusquer à nouveau qu’on m’appelle monsieur. Puisqu’on est souvent jugé, défini par son apparence… alors je porterai un hoodie qui te dira comment m’appeler : appelle-moi madame.

Pika Illustration, Appelle-moi Madame

Peut-être êtes-vous une femme cis qu’on mégenre à cause de son apparence. Peut-être êtes-vous une femme trans qu’on mégenre à cause de son apparence. Peut-être voulez-vous briser les codes, traverser les cases, attirer l’attention sur la diversité humaine, comme le devenu célèbre Marc Bryan. Avec le design « appelle-moi Madame« , c’est à ça que j’ai voulu participer.

(Je ne peux m’empêcher de penser à, et de vous encourager à visionner, Better Than Chocolate, un film de 1999 où l’acteur Peter Outerbridge interprète le personnage de Judy, femme trans dont la chanson « I’m not a f*cking dragqueen » surgit régulièrement dans mon jukebox mental. C’est normal de chercher à identifier ce que nos yeux perçoivent. Mais aujourd’hui, il s’agit aussi d’adapter nos catalogues mentaux pour y inclure toutes les réalités et pas juste la bonne vieille pensée binaire.)

…ni mademoiselle.

La deuxième piste à explorer pour ce « appelle-moi Madame » s’éloigne des questions de genres, pour s’approcher des questions de sexisme, de misogynie et de patriarcat. En effet, en tant que femme et si les mœurs n’étaient pas en train de changer bon an, mal an, je resterais une mademoiselle jusqu’au mariage. Je reconnais que c’est déjà un progrès de pouvoir épouser celle que j’aime, si c’était dans nos projets.

Mais cette notion de mademoiselle est surtout à prendre en opposition à monsieur. Mademoiselle ne devient Madame qu’après le mariage, alors que Monsieur était déjà Monsieur avant et le restera ensuite.

Pourquoi aurions-nous besoin de la validation d’une union pour être une Madame alors que les hommes sont reconnus comme Messieurs sans que cela ne dépende de quiconque d’autre qu’eux-mêmes ? Tout au plus, un garçon, un jeune homme, deviendra un homme, un Monsieur, simplement en atteignant l’âge admit comme la majorité. Mais une femme, une jeune femme, une fille, doit rester une mademoiselle jusqu’à ce qu’on daigne la marier. Pire, si elle échappe à cette pratique, elle finira par être étiquetée de « vieille fille ».

Si être appelée une mademoiselle est flatteur pour certaines, car renvoyant à une jeunesse parfois depuis longtemps passée, c’est réducteur pour d’autres, en tout cas pour moi. Au même titre que je me sens femme sans pour autant correspondre à l’idée qui en est généralement admise, je me sens madame sans pour autant être mariée, et c’est très bien comme ça !

Dire « mademoiselle », c’est parfois juste une habitude. Un jour au boulot, alors qu’une jeune collègue et moi-même étions seules présentes, le patron nous a interpellées en disant « les filles ». Venant d’un supérieur hiérarchique, j’ai trouvé ça un peu cringe, pas loin de la condescendance, mais je pense que ce n’était pas mal intentionné. Juste une façon de parler, sans avoir prémédité quoi que ce soit.

C’est aussi une question de génération. Par exemple, ma propriétaire presque septentenaire m’appelle toujours Mademoiselle. C’est même inscrit sur mon contrat de bail alors que j’avais explicitement demandé que ce soit « Madame ». Je l’ai aussi entendue dire à un technicien que les supports pour vélos accrochés au mur en hauteur, ce n’était pas du tout pratique, surtout pour les filles, qui salissent leurs robes en soulevant leurs bicyclettes. Mes jeans et moi, on a souri.

Je ne suis pas une « mademoiselle ». Je ne suis pas une vieille fille, ni une jeune fille et je ne suis pas un monsieur non plus. Je suis une femme adulte. Appelle-moi madame.

Pika

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